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Jean-Marc TENENHAUS

Ostéopathe EurOst. D. O.

UNE BRÈVE HISTOIRE DE LA LOCOMOTION

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Il semble important de souligner au préalable que la locomotion n’est pas une composante indispensable à la survie. De très nombreux organismes vivent et survivent dans l’immobilité : il s’agit de la flore et de ses 1 064 035 millions d’espèces différentes recensées à ce jour, réparties en 642 familles et 17 020 genres (The Plant List, Sept. 2013).

Encore que, ce propos doit être relativisé. La diffusion végétale par l’intermédiaire de rhizomes, par exemple, aboutissant à une nouvelle pousse au contenu génétique strictement identique à celui de son parent (disparu suite à une dégénérescence programmée) ou bien encore la simple croissance de radicelles, peut être assimilé à une forme de déplacement. Seule diffère l’échelle de temps du mouvement, plus proche chez les végétaux des temps géologiques que les temps animaux. Parce qu’il nous est imperceptible, il est considéré comme nul… Pour la plupart des insectes volants, ne sommes-nous pas aussi immobiles que les plantes le sont pour nous ? Mais alors, comment un séquoia, rêveur millénaire, appréhende-t-il la marche humaine ? Nous cohabitons dans des univers temporels relatifs s’entrecroisant au sein d’un espace commun… pour le plus grand plaisir d’Albert Einstein.

Mais revenons aux quelques 7,7 millions d’espèces animales qui nous entourent (Mora, et al., 2010). La locomotion ne se réduit pas à un simple déplacement qui peut être purement passif. De très nombreux organismes ont choisi cette voie en se laissant porter au gré des courants aériens ou marins, organisant une prédation aléatoire. Cependant, pour la plupart, nous nous sommes orientés vers une locomotion active dans notre quête de substances nutritives. La locomotion, tout comme la reproduction, est avant tout une histoire de prédation : puiser dans son environnement les substances nécessaires à sa propre survie, en évitant si possible de devenir le substrat d’un autre.

La locomotion implique une notion de prédation active à la différence des autres modes de déplacements qui organisent une prédation passive. Dans ce jeu complexe du chasseur et de la proie, celle-ci peut autoriser une forme partielle de prédation sur sa personne afin de favoriser sa propre reproduction. C’est ainsi que nous pouvons nous extasier devant un papillon qui vole de fleurs en fleurs, mais sans le nectar que celle-ci met à sa disposition, pas de papillon… ni d’ouragan à l’autre bout de la planète… Toutes les formes de locomotion sont couteuses en énergie, pour être maintenue la balance finale doit rester bénéficiaire…

La mobilité est une caractéristique du monde animal, elle n’existe uniquement que chez les organismes possédant un centrosome ou son équivalent. Le monde du vivant déterminé par les chloroplastes ne possède aucun système intracellulaire permettant le déplacement autonome d’une structure, juste le minimum requis pour assurer la division cellulaire. En puisant une énergie inépuisable de la photosynthèse, le besoin de développer un tel système n’est jamais apparu. La mitochondrie, commune aux deux règnes, n’est pas essentielle dans le phénomène locomoteur, il a été récemment découvert un protozoaire flagellé dépourvu de cet organite1  (Karnkowska, et al., 2016).

I. MICROTUBULES ET CENTRIOLE

Par définition, la motilité est la capacité de se déplacer activement, spontanément ou par réaction à des stimuli, en consommant de l'énergie lors du processus. Le terme se réfère à la capacité à produire des mouvements. La mobilité concerne la nature de l’élément qui réalise le déplacement, ou caractérise le déplacement d’un organisme dans son environnement. La mobilité est ainsi active ou passive. La locomotion n’est que l’une des formes de mobilités possibles.

Les microtubules forment l’unité de base de la motilité cellulaire, la mobilité s’organisant à partir de ses dérivés. Ils sont une composante du cytosquelette disséminée sur l’ensemble du cytoplasme. D’un diamètre extérieur d’environ 24 nm (nano-mètre), ils ont une longueur et une fonction variable selon leur emplacement cellulaire et les protéines associées (ou MAP pour Microtubule associated protein).

Les microtubules sont des structures complexes formés à partir de deux protéines, les α-tubuline et β-tubulines.

Figure 1 : Schéma de formation d’un microtubule à partir d’un dimère d’α- et de β-tubuline. Une fois formés, les dimères s’assemblent en monofilament, grâce à un certain nombre de co-facteurs protéiques. La structure complète comporte treize filaments. Elle est polarisée.

 

Tout d’abord réunies entre-elles en formant un dimère, ces deux protéines s’agencent en un mono-filament puis en microstructure tubulaire constituée par la réunion de treize de ces derniers grâce à l’intervention de nombreux co-facteurs protéiques dont la γ-tubuline. La structure complète est polarisée, avec un pôle négatif au centre de la cellule, près du centrosome où elle se forme et un pôle positif périphérique.

Le centrosome est constitué par deux centrioles disposées perpendiculairement l’une par rapport à l’autre, et d’un nuage protéinique dont la γ-tubuline. Il constitue le MTOC (microtubule-organizing center ou centre organisateur du microtubule), spécifique aux espèces animales. Chez les végétaux, la production de microtubules s’organise à partir d’un système dépourvu de centrioles (Schmit, 2002; Jaspersen & Winey, 2004). La γ-tubuline n’est cependant pas essentielle dans le processus de formation (Mahoney, et al., 2006), la présence du centriole semble indispensable aux processus de motilité et de mobilité (Azimzadeh, et al., 2012).

Les microtubules des eucaryotes animales sont d’apparition récente au cours de l’évolution. Il existe néanmoins des précurseurs ancestraux, retrouvés chez certaines bactéries, composés uniquement de cinq monofilaments de tubulines (Pilhofer, et al., 2011) et une composante encore plus archaïque chez les procaryotes sous la forme de monofilaments d’une protéine répondant au nom barbare de FtsZ pour « Filamenting temperature-sensitive mutant Z » (Dyer, 2009).

Ancré par la ninéine sur un MTOC (Delgehyr, et al., 2005), le microtubule est une structure instable en perpétuel renouvellement sauf s’il est associé en périphérie à des protéines spécifiques qui inhibent sa dépolymérisation. Les MTOCs sont variables selon les phylums et les domaines (Francis & Davis, 1999), et sont impliqués dans de nombreux phénomènes, de la division et reproduction cellulaire à la gestion des réactions aux stimuli en passant par la transduction des signaux moléculaires (Doxsey, et al., 2005).

Dans une cellule, tous les chemins ne mènent pas à Rome mais à l’appareil de Golgi. Les microtubules convergent vers le centrosome associé à cet organite de manière très étroite. Véritable gare de triage, l’appareil de Golgi organise la maturation puis le transport des substances moléculaires depuis ou vers le réticulum endoplasmique ou vers la membrane. Les microtubules représentent l’appareil nourricier de la cellule. Par analogie, il est possible de comparer l’ensemble réticulum endoplasmique, appareil de Golgi et microtubules à une méduse flottant au gré des flots qui s’est entourée dans un second temps d’une coque protectrice. Ceci fait du réticulum endoplasmique2  un excellent candidat au titre de précurseur ancestral de la cellule.

Les MTOCs sont représentés chez l’homme par le centrosome, et le corps basal (un centriole unique entouré de diverses protéines). Le renouvellement tubulaire implique l’apparition d’un effet « tapis-roulant » au sein de la structure, les dimères de tubuline se déplaçant progressivement du centre vers la périphérie cellulaire.

 

Figure 2 : Schéma de production du microtubule. La polymérisation du microtubule s’accomplit au niveau du centrosome composé de deux centrioles disposés perpendiculairement, entourés d’un nuage de γ-tubuline et de co-facteurs. Dans le même temps, une dépolymérisation se produit en périphérie. Il s’ensuit qu’un dimère quelconque (figuré ici en rouge) progresse régulièrement le long du microtubule bien que ce dernier paraisse immobile et constant.

En se déplaçant le long du microtubule, le cercle de dimères entraine mécaniquement avec lui le cytoplasme et les MAPs présentes dans sa lumière. Outre ce flux endoplasmique dont la vitesse dépend de la vitesse de croissance du microtubule, il existe un transport actif, orienté par la polarité, à la surface du microtubule grâce à deux protéines spécifiques : la kinésine et la dynéine. Ces dernières ne sont actives que si elles transportent une charge, et leur présence participe à l’inhibition de la dépolymérisation périphérique du microtubule.

En périphérie de la cellule, entre l’extrémité du microtubule et la membrane plasmique, il existe un groupe de protéines, nombreuses et variées, qui assurent la liaison entre les récepteurs, pores et canaux de la membrane et le microtubule. Leur description n’offre que peu d’intérêt ici, et il faut plutôt retenir le principe d’un feed-back moléculaire entre la cellule et son environnement.

Figure 3 : Schéma de principe du transport actif à la surface du microtubule. La kinésine organise le transport de substances vers la périphérie (en réalité vers le pôle positif). Le transport entre le microtubule et la membrane plasmique est assuré par l’intermédiaire de myosine se déplaçant sur un filament d’actine. La kinésine se déplace à la surface du microtubulee en effectuant une rotation sur elle-même. Le transport de substance nutritives est assuré par la dynéine vers le centrosome. La kinésine et la dynéine se sont actives que lorsqu’elles sont associées à une charge et viennent alors se fixer sur le microtubule.

Lorsque la membrane plasmique entre en contact avec une zone riche en nutriment, il se déclenche une cascade de réactions chimiques dont l’arrêt de la dépolymérisation du microtubule et la création d’une vacuole digestive qui va cheminer jusqu’au centrosome via sa liaison avec la dynéine. En retour, la croissance de ce microtubule en particulier est stimulée et des protéines stabilisatrices seront transportées vers la périphérie. Des filaments d’actine, sous-jacents à la membrane plasmique, vont déformer cette dernière en se reployant sur eux-mêmes.

La membrane plasmique va donc connaitre une expansion localisée dans cette zone d’échange, croissance aboutissant à la formation de véritables pseudopodes parfois. Dès que les substances nutritives sont épuisées, le processus de feed-back cesse. Les filaments d’actine se relaxent, et la dépolymérisation du microtubule reprend ce qui aboutit à une rétraction de la membrane plasmique.

Figure 4 : Principe de base du déplacement cellulaire. Voir explications dans le texte.

D’autres microtubules verront un transport accru de déchets vers d’autres régions membranaires.

Ces rencontres fortuites, et ces déformations membranaires constituent le premier élément de la locomotion cellulaire.

La production de pseudopodes se fait au hasard, dans toutes les directions, en fonction de l’environnement. Pour que la cellule se déplace réellement vers une direction donnée, il faut que le microtubule concerné par le transport de substances nutritives se rétracte en attirant vers lui le centrosome, qui lui-même va entraîner dans son sillage le réticulum endoplasmique et le noyau cellulaire. Le processus est lent, coûteux en énergie.

L’une des premières réponses organisationnelles et structurelles de la cellule sera de mettre en place des faisceaux concentrés de microtubules, centrés sur le MTOC, en utilisant des MAPs particulières. La résultante de ce faisceau organise un flux endoplasmique intra tubulaire et un flux ectoplasmique extra tubulaire qui vient déformer la membrane à sa partie antérieure, la rétracter à sa partie postérieure, la cohérence de la morphologie membranaire étant assurée par le cytosquelette. L’endoplasme présente la caractéristique d’être plus fluide que l’ectoplasme. Il retrouve sa viscosité au voisinage de la membrane plasmique, et redevient fluide au moment de sa réentrée dans la partie postérieure de l’amas tubulaire central L’organisme unicellulaire s’oriente de manière progressivement permanente en un avant et un arrière par l’intermédiaire des nanoparticules de magnétite.

Figure 5 : Schéma du principe de locomotion par l’intermédiaire d’un faisceau de microtubules. À un stade plus évolué, des microtubes viennent remplacer les microtubules. Les flux endoplasmique et exoplasmique sont de compositions chimiques différentes ce qui rend le cytoplasme circulant dans le faisceau plus fluide. Il retrouve sa viscosité au voisinage de la membrane.

Figure 6 : Schéma de principe de la locomotion par pseudopodes. Les filaments d’actine disposés en parallèle de la membrane plasmique déforment cette dernière de manière localisée sous l’action de protéines acheminées par des microtubules issues de centrioles disposées à proximité de l’amas tubulaire central. Il existe une double coordination des mouvements, métabolique grâce à un réseau de microtubules unissant les centrioles centraux entre eux, et mécanique grâce à un réseau de fibres interciliaires (non figuré).

Ce type de locomotion amiboïde, en chenille de char, reste très lent. Dans sa poursuite d’une adaptation et d’une adéquation avec le milieu environnant, l’unicellulaire se dote de rames efficaces dans des gels visqueux ou en eau libre. Sous l’action du MTOC, on assiste à une multiplication des microtubules vers des régions particulières de la membrane plasmique qui se déforment de manière permanente sous l’action de filaments d’actine. La coordination mécanique des excroissances est assurée par un réseau dense de fibres interciliaires, renforcement localisé du cytosquelette. À l’origine, les microtubules à destination des appendices sont simplement ancrés sur l’amas central grâce à des protéines particulières dont la ninéine. Progressivement, selon les espèces, ces ancrages indépendants du centrosome (Bartolini & Gundersen, 2006) vont faire intervenir des centrioles qui vont se multiplier et migrer vers la membrane plasmique pour former, une fois entouré de protéines spécifiques, le corps basal. Les centrioles conservent leurs relations avec l’amas tubulaire central par l’intermédiaire de deux séries de microtubules, la première ancrée sur le corps basal de flux centripète (information) et la seconde ancrée sur l’amas central de flux centrifuge (réaction).

Les gastéropodes actuels ont conservé et adapté ce système de locomotion se dotant d’une musculature podale puissante, et en produisant leur propre gel visqueux au fur et à mesure de leur avancée. La démarche de l’escargot est certes plus rapide que la locomotion amiboïde, mais elle n’atteint pas encore des sommets de rapidité. Mais alors, comment accélérer ?

À un stade d’organisation encore plus complexe, et probablement au moins 200 millions d’années plus tard, la cellule se dote de manière permanente d’appendices contenant chacun soit un groupe de microtubules (procaryotes) soit un axonème (eucaryotess), assemblage complexe réalisé à partir de microtubules grâce à des protéines spécifiques déjà évoquées, les MAPs, dont la kinésine et la dynéine.

Les structures ainsi formées permettent de réduire la surface de contact avec le substrat, augmentant ainsi la vitesse de déplacement, et permettant la locomotion sur un terrain solide plus ou moins granuleux.

 

Figure 7 : Principe d’organisation des cils et flagelles en haut. Les centrioles migrent vers la base du cil mais restent en relation avec l’amas tubulaire central et entre eux. Les microtubules s’assemblent en une structure complexe : l’axonème. (vue globale en bas à gauche, vue en coupe transversale en bas à droite). La rigidité de la structure est dépendante de la circulation cytoplasmique au sein du microtube.

Ces appendices permanents sont, par définition, des cils lorsque leur longueur est inférieure à 100 μm, des flagelles au-delà (leur longueur pouvant atteindre 200 μm). Leur nombre et leur localisation peut être très variable, leur organisation est en revanche relativement similaire et dépend surtout de l’ancienneté de l’espèce. Il faut en effet au moins 40 gènes différents chez les procaryotes et entre 250 à 400 gènes chez les eucaryotes pour aboutir à la formation d’un flagelle.

Chez les archées, le flagelle se réduit à un simple monofilament de flagelline disposée en tube plein dont la croissance s’effectue par extrusion au niveau de la membrane plasmique, chez les procaryotes, le tube devient creux et la croissance s’effectue en partie distale par l’intermédiaire d’un transport intra-tubulaire de la protéine. Chez les eucaryotes, la structure est plus complexe, et met en œuvre 10 doublets de microtubules (1 central et 9 périphériques) autorisant un transport directionnel intra tubulaire vers la zone distale du cil ou du flagelle. Les microtubules périphériques de l’axonème sont dans le prolongement des microtubules formant le centriole, il existe toutefois un intervalle intermédiaire dépourvu du doublet central entre ces deux structures de composition protéinée différente.

Chez les procaryotes, la mise en mouvement est assurée par la rotation d’un moteur moléculaire constitué d’un à deux anneaux internes mobiles et d’un à deux anneaux externes immobiles liés à la membrane plasmique. Chez les eucaryotes, la mobilité du flagelle est assurée par le centriole du corps basal, il n’y a pas de rotation mais une ondulation. La dynéine est responsable de la flexion - relaxation du flagelle en induisant un glissement des microtubules périphériques de l’axonème les uns par rapport aux autres et par rapport au doublet central, qui se propage du corps basal vers la périphérie.

Malgré son apparente simplicité, la mise en œuvre architecturale puis la mise en œuvre fonctionnelle du flagelle eucaryote est bien plus complexe que celles de son homologue procaryote. Elles réclament un nombre de gènes codants plus important et font intervenir une cascade de protéines intermédiaires plus nombreuses. Il aura fallu 200 millions d’années pour voir apparaître les premiers eucaryotes (vers – 2 milliards d’années), pour que le corps polaire du fuseau (SPB ou spindle pole body) soit remplacé par le centriole.

 

Figure 8 : Flagelle et son moteur moléculaire, à gauche chez les procaryotes, à droite chez les eucaryotes. Modifié d'après LadyofHats (2007). La mobilité du flagelle est assurée par la rotation du centriole par rapport à son ancrage membranaire. La rigidité du flagelle, et donc la qualification du mouvement produit dépend de la pression hydrostatique exercée par le flux endoplasmique microtubulaire.

La rigidité du flagelle est conditionnée par la pression hydrostatique exercée par la circulation du cytoplasme à l’intérieur des microtubules ou de l’axonème central. Souple, le flagelle produit un mouvement ondulatoire dont la période dépend de sa longueur, rigide il provoque un battement. Certains flagelles restent unis à la membrane cellulaire, par exemple la membrane ondulante de méduses ou de parasites comme le trypanosome.

L’évolution se poursuivra chez les eucaryotes (apparus vers - 900 millions d’années) par une différenciation progressive de l’amas tubulaire central en sous structures spécialisées en fonction de MAPs spécifiques aux fonctions assurées.

Figure 9 : Différenciation progressive de l’amas tubulaire central en structures spécialisées en fonction de MAPs spécifiques (en bas) et migration puis croisement des proto tractus neurologiques (en haut) sous l’influence conjuguée de nanoparticules de magnétite et de la gravitation. (Voir texte pour explications).

La partie supérieure restera un organe de soutien et évoluera en chorde, vers – 500 millions d’années, flanquée latéralement de structures de coordination entre les centrioles qui évolueront en tractus neurologiques.

Sous l’influence du champ magnétique produit par les nanoparticules de magnétite, les proto tractus vont progressivement migrer vers la partie supérieure de la chorde où ils peuvent fusionner (comme chez les protozoaires) ou bien continuer leur migration jusqu’à produire une inversion, la décussation. Les premières formes de vie bilatérales apparaissent vers – 540 millions d’années (Cavalier-Smith, 2006), peu de temps (géologique) après un épisode glaciaire intense et un épisode d’inversion magnétique. Toutes les formes intermédiaires sont observables, du cordon unique jusqu’à la série de renflements ganglionnaires. Le système nerveux humain, avec ses cordons médullaires latéraux réunis en un cordon unique (la moelle spinale) et ses renflements cérébraux (cervelet, hémisphères) mais aussi paravertébraux n’est qu’une des variantes possibles (pour mémoire, l’hippocampe, région centrale du cerveau, est la zone la plus riche en nanoparticules de magnétite).

Compte tenu de la polarité des microtubules, la circulation endoplasmique se réalise dans le sens caudo-céphalique grâce à deux structures qui deviendront le système veineux tandis que la circulation céphalo-caudale s’effectue pour partie au niveau du cytoplasme lui-même (ancêtre de la circulation lymphatique) et pour partie par un amas de microtubules central que l’on retrouve actuellement sous la forme du système artériel (d’où la répartition deux veines pour une artère chez l’homme avec une réabsorption lymphatique qui compense l’excrétion urinaire et maintien constant le volume sanguin).

Spécialisé dans le transport actif de l’oxygène depuis la membrane, le proto tractus artériel va se complexifier au niveau de son centre organisateur périphérique en organisant le système d’échange gazeux, des branchies aux poumons. Les proto tractus artériel et veineux subiront également l’influence des corpuscules de magnétite et fusionneront à la partie antérieure de la cellule puis effectueront une rotation aboutissant à la définition de la sphère cardiaque actuelle (le cœur fait partie des organes contenant de fortes concentrations de magnétite chez l’homme) et de l’appareil respiratoire.

À la partie toute inférieure, les microtubules chargés du transport et de l’évacuation des vacuoles digestives vont également se spécialiser et s’organiser en un proto tractus digestif avec formation d’un orifice buccal et d’un émonctoire permanents avec leurs glandes annexes.

Les filaments d’actine et de myosine vont poursuivre leur évolution en s’organisant en systèmes musculaire différenciés spécifiques aux besoins de chaque espèce.

Le débat reste ouvert sur l’origine du centriole, entre les partisans de l’hypothèse endosymbiotique (Margulis, et al., 2006; Dolan, et al., 2002) et ceux du modèle endogène (Cavalier-Smith, 2006; 2002). Il semble acquis toutefois qu’il aura fallu près de 2,5 milliards d’années depuis l’origine de la vie pour aboutir à une cellule eucaryote mobile tant les processus impliqués sont nombreux et complexes. La base de la locomotion moderne étant acquise, la sélection naturelle se chargera de la décliner sous toutes les formes possibles.

II. UN FLAGELLE, ET APRÈS ?

Un ou plusieurs flagelles, qu’ils soient disséminés, groupés ou polarisés laisse malgré tout l’organisme confronté à une limite de vitesse, de masse, de rapport surface/volume en fonction de la viscosité ou de la granulosité du milieu ambiant d’autant qu’en améliorant les mécanismes de prédation et de survie les organismes ont eu une fâcheuse tendance à prendre de l’embonpoint…

La transition entre le flagelle et un membre porteur est à la fois simple et complexe. Simple car tous les éléments et mécanismes fondamentaux ont été mis en place au stade unicellulaire, complexe parce qu’elle s’adresse à des organismes pluricellulaires métamérisés, qu’elle nécessite une spécialisation et une différenciation des flagelles. Outre les appendices locomoteurs, où des ailes peuvent côtoyer des pattes, on peut en effet retrouver des appendices sensitifs olfactifs ou tactiles, des mandibules…

 

Figure 10 : Des flagellés aux arthropodes, de gauche à droite :  bactérie E. Coli, Nautilus Pompilius, Trilobite, Centipède. Le Nautile représente un type mixte possédant un exosquelette rigide et des flagelles devenues tentacules n’intervenant pas dans la propulsion qui se réalise par l’intermédiaire d’un siphon contractile (évolution de la vacuole contractile). Peu de temps après, apparait le Trilobite dont les appendices se couvrent d’un exosquelette rigide permettant la mastication et la locomotion. Le Centipède est un type archaïque de marcheur, chaque membre porteur est recouvert d’un exosquelette articulé relié à un segment bien déterminé, et des flagelles se sont spécialisées en antennes tactiles ainsi qu’en mandibules. (Trilobite Phacos rana, modifié d’après Descouens, 2001)

La compréhension des biofilms (apparus vers – 3,5 milliards d’années) est un enjeu actuel de santé publique dans la maitrise des infections en particulier nosocomiales, pour la compréhension des phénomènes métastatiques en oncologie. Mais, c’est également un enjeu dans la compréhension de l’organisation, chez le vivant, du passage du stade unicellulaire à celui des organismes pluricellulaires.

La théorie des biofilms (voir par exemple Donlan, 2002) permet de comprendre comment une colonie de micro-organismes organise sa cohésion sous la forme de micro colonies, séparées par des espaces de circulation pour les fluides et les molécules, au sein d’une matrice de polymères exocellulaires représentant environ 85% de l’ensemble. Il existe cependant une taille critique (environ 108 cellules), spécifique à chaque espèce, au-delà de laquelle intervient un phénomène de dispersion.

Chez des unicellulaires comme E. Coli, l’adhésion intercellulaire s’organise à partir de flagelles modifiés (pili et fimbrae), chez d’autres grâce à des récepteurs cellulaires réactifs à un groupe de protéines particulières, les adhésines. Le phénomène de dispersion implique des modifications de l’expression phénotypique du génome (en fonction de contraintes mécaniques, et de l’environnement (fluctuations des concentrations locales d’oxygène ou l’augmentation d’oxyde nitrique NO).

Ces mêmes contraintes mécaniques influencent la structure du cytosquelette et sa composition (Ingber, 1993), ainsi que sur celles de l’exosquelette (Ingber, et al., 1994). Par ailleurs, dans les biofilms y compris ceux composés de différents types cellulaires, les cellules présentent des échanges fréquents d’ADN au travers de canaux particuliers (Roux & Ghigo, 2006). Tout organisme vivant est en recherche permanente d’adéquation avec les contraintes physiques environnementales (Ingber, et al., 2014) et modifie l’expression de son génome en fonction de ces dernières (Mammoto, et al., 2013; Dalby, et al., 2007). Il faudra attendre jusqu’à – 2,1 milliards d’années pour voir apparaître les premiers pluricellulaires.

Il existe différents modèles pour rendre compte de l’apparition des pluricellulaires (phagocytose ou division cellulaire incomplète, endosymbiose d’un contenu d’ADN par infection virale de type Mimivirus ou par partage entre l’hôte et son parasite). Il se peut également qu’une cellule issue d’un biofilm suite à une Nième dispersion, avec un contenu en ADN enrichi, soit à l’origine d’une colonie dense, contenant des cellules ayant un ADN commun et des types histologiques différents, donc à un organisme pluricellulaire. Il est probable que l’organisation et la variété de la pluricellularité constatée à l’heure actuelle soit le résultat d’une co-évolution impliquant ces différents processus à des degrés divers selon les familles, les genres et les espèces.

L’accroissement de la masse des pluricellulaires débouche sur l’organisation d’un squelette hydrostatique, compartiment fermé périphérique rempli par un liquide interstitiel incompressible protégeant les organes internes, comme celui des annélidés ou des céphalopodes. Les filaments d’actine, associés à la myosine, s’organisent en un tissu dense, circulaire et/ou longitudinal permettant la locomotion. Mais celui-ci atteignant rapidement ses limites en termes de masse et de protection contre la lumière hors du milieu marin, l’étape suivante semble être la production d’un exosquelette de protection et de soutien.

La chitine de l’exosquelette, associée à des carbonates ou des silicates, offre une radioprotection portative efficace contre les effets délétères des UV. Alors que la sécrétion de carbonates et de silicates est acquise depuis longtemps, et aboutit à la formation d’un exosquelette fixe (comme chez les coraux), cette molécule de la famille des glucides azotés nécessite la maitrise de la production de polysaccharides par la cellule, acquise probablement lors de l’explosion du Cambrien.

L’exosquelette permet également l’accroissement de la masse d’un organisme pluricellulaire en participant à la cohésion des cellules entre-elles. La locomotion terrestre augmente les contraintes de cisaillement entre chaque cellule d’un organisme en fonction de la masse de ce dernier, et représente un défi majeur du maintien de l’unité d’un organisme. Avant de bouger, il faut avant tout rester un !

L’exosquelette des organismes marins répond à des contraintes différentes, puisqu’ici la cohésion de l’organisme est assurée par le simple jeu de la pression hydraulique exercée par le milieu ambiant. De très nombreuses espèces marines peuvent ainsi atteindre de grandes tailles sans pour autant développer d’exosquelette comme le calamar géant et ses 13 mètres d’envergure. Le jeu des tensions musculaires est équilibré par une structure interne, composée de carbonate de calcium également, dérivée de l’amas tubulaire central (par exemple le calmar), ou bien consécutive à une invagination de l’exosquelette (comme pour la seiche).

Pour les organismes vivants à faible profondeur, l’exosquelette répond, outre la défense contre la prédation, à une nécessité de radioprotection sous la forme d’un bouclier hémisphérique placé à la partie supérieure. À la partie inférieure du corps, ces organismes développent un certain nombre de plaques et de flagelles natatoires permettant de s’orienter dans les courants mais souvent insuffisants pour s’en extraire. Secondairement, ceux vivant au contact du fond marin vont développer un nombre variable d’appendices locomoteurs engainés par l’exosquelette tandis que ceux vivant en eau libre vont développer un système de rames directionnelles.

Le milieu marin est un espace tridimensionnel comportant d’énormes variations de pressions en fonction de la profondeur — une fois la pression atmosphérique tous les 10 mètres environ — à la différence du milieu terrestre où cette pression reste relativement stable. L’enjeu est donc d’équilibrer les pressions internes et externes selon la plus grande plage de profondeur possible. La solution la plus simple consiste en une fragmentation de cet exosquelette sous la forme d’une multitude de plaques, chacune répartissant la pression sur sa surface, jouant librement entre-elles : les écailles. La peau des cétacés répond au même principe fonctionnel, avec sa couche épidermique conjonctive dense et son réseau hypodermique inextensible noyé dans une couche adipeuse, ce qui permet à ces animaux de passer de la surface à de très grandes profondeurs sans dommages. Cette peau reste toutefois sensible aux rayonnements UV, et des « coups de soleil » ont été décrits.

Enclos dans une enveloppe rigide ou semi-rigide, les différents composants d’un organisme peuvent équilibrer leur pression interne en s’entourant d’une membrane souple, et s’équilibrer entre eux sans perdre la cohésion de l’ensemble. Ce système gigogne de membranes se retrouve à l’heure actuelle chez l’homme dans l’organisation du sac péritonéal, membrane qui enclot une série d’organes mobiles eux-mêmes ceints d’une membrane propre tout en étant reliés entre eux par un tissu de soutien ; sac contenu dans une enveloppe musculaire, et possédant un rôle majeur dans la station bipède en se plaquant contre une colonne semi rigide…

Lorsque l’on compare l’axonème du flagelle et l’organisation des appendices moteurs des arthropodes, il existe une grande analogie fonctionnelle et structurelle.

Figure 11 : Schéma comparant l'organisation d’un axonème (en haut) et d'un appendice locomoteur d'arthropode (en bas). Coupes longitudinales. (Voir texte pour explication).

Le doublet central de l’axonème donnera naissance à une plaque hyaline — comprenant un micro canal en son centre, prolongée par un tendon central — située au centre d’un segment du membre porteur d’un arthropode par simple densification des protéines de soutien associées. Les doublets périphériques et les filaments d’actine vont s’organiser en tendons et muscles moteurs insérés d’une part sur la plaque hyaline et d’autre part sur l’exosquelette. La différenciation d la plaque hyaline répond à l’augmentation des tensions musculaires dans des directions opposées, et assure la cohésion de l’ensemble. La plaque ne permet pas l’insertion des masses musculaires, elle en est la conséquence et sa forme à maturité dépend de l’ensemble des contraintes en tensions qu’elle subit.

Il faut modifier le paradigme d’un squelette — organe de soutien directeur d’une fonction en squelette — organe de cohésion consécutif à une contrainte contrairement à l’aphorisme intuitif voulant que la structure gouverne la fonction3 .

Chez les arthropodes, chaque segment ne comporte que deux muscles destinés à mobiliser la section suivante, la jonction entre deux parties n’autorise des mouvements que dans un seul plan de l’espace, il n’existe pas de rotation axiale. Il est possible de poser l’hypothèse que cette jonction segmentaire est l’analogue de la zone dépourvue de doublet central à la jonction entre le centriole et l’axonème.

Le passage de l’axonème à l’exosquelette est relativement simple. Quoi que… le relatif est vraiment très relatif, le processus requiert malgré tout un nombre considérable d’intégrations dans le génome et plus de 1,5 milliards d’années, les arthropodes n’apparaissent que vers – 420 millions d’années.

L’apparition de l’endosquelette reste plus difficile à cerner. S’agit-il d’une simple disparition de l’exosquelette privilégiant le développement de la plaque hyaline ? ou bien répond-t-il à une évolution directe de l’amas tubulaire central ? Son apparition est-elle primaire (co-évolution) ou bien secondaire (évolution dérivée) ?

Figure 12 : Schéma comparant l'organisation d'un membre porteur selon un endosquelette (à gauche) et un exosquelette (à droite). Il existe une profonde analogie structurelle entre les deux qui ne doit pas faire passer sous silence leurs dissemblances, fondamentales dans la compréhension de leurs origines.

Quelles que puissent être les réponses à ces questionnements, l’organisation des membres porteurs est sous la dépendance d’un petit groupe de gènes structuraux communs (ou très équivalents entre les espèces) dits gènes homébox ou gènes à homéoboites en fonction de protéines associées notés Hoxd 9 à Hoxd 13. L’origine très ancienne de ces gènes est attestée par la grande proximité de leur séquençage et de leur ordre sur le chromosome (Wolpert, et al., 1999; Larsen, 2004).

Il semble important d’insister sur le caractère ancestral et transversal (c’est-à-dire commun à toutes les espèces) de cette organisation génétique de la croissance des membres. Il semble intéressant de noter également que des mutations de ces gènes induisent des malformations des reins (diminution du nombre de néphrons) et de l’appareil reproducteur masculin (anomalies des vas deferents) source d’infertilité (Davis, et al., 1995).

 

Figure 13 : Schéma d’activation proximale des gènes Hoxd situés sur le chromosome 2 lors de la croissance du membre. Chacun des domaines segmentaires possède une orientation dans l’espace qui lui est propre. Modifié d’après Izpisúa-Belmonte & Duboule, (1992).

La chronologie d’activation est typique des gènes homébox. Ces gènes s’expriment dans l’ordre de leur localisation sur le chromosome (ici le chromosome 2). Au niveau des membres, leur expression défini cinq domaines segmentaires dont le premier, proximal, sert de racine au membre. Parvenu à maturité, chacun de ces segments est séparé de ceux adjacents par une articulation à haute valeur fonctionnelle.

L’activation de ces gènes homéobox ne peut intervenir sans un certain nombre de protéines associées (trop nombreuses pour être citées ici), variables selon les espèces qui viennent définir avec précision l’emplacement tridimensionnel de la cellule dans le membre en croissance (Abbasi, 2011). Le gène homéobox est responsable de l’organisation céphalo-caudale, les protéines associées des particularités dorso-ventrale et latéro-médiale.

Chacun de ces segments, ou domaines d’organisation, peut présenter des fragmentations variables selon les individus (os surnuméraires, variations de la forme, de la taille et/ou de l’orientation d’une articulation) sans nécessairement produire une impotence fonctionnelle majeure. Ainsi, disposer d’une main à 4 ou 6 doigts n’entraine d’autre répercussion qu’esthétique mais ne perturbe pas la préhension ni même la dextérité comme le montrent de nombreux musiciens au travers le temps. A contrario, la disparition ou la modification de l’organisation de l’une des articulations entre les domaines segmentaires entraine des répercussions immédiates sur la fonctionnalité du membre en sa totalité et une impotence fonctionnelle majeure, parfois complète. Par exemple, au niveau du coude, la perte de la flexion – extension (domaine inter-segmentaire) ne peut être compensée par les autres niveaux articulaires alors qu’un déficit de rotation axiale (la prono-supination, domaine intra-segmentaire), est compensable par les articulations sus- et sous-jacentes.

Figure 14 : Schéma d'expression des gènes Hoxd et leur concordance avec les segments de membres matures. Les différents segments ne sont pas à l’échelle. Noter que deux os de la première rangée des os du carpe et l’arrrière pied appartiennent au zeugopode, c’est-à-dire au segment antébrachial (avant-bras) et jambier. Les domaines définissent des relations inter-segmentaires à haute valeur fonctionnelle. Modifié d’après Davis, et al., (1995).

Chez l’homme, cette disposition semble être l’héritière de l’organisation segmentaire des arthropodes, chaque domaine possédant une orientation et une amplitude du mouvement spécifique à un plan de l’espace (même si certains niveaux disposent d’une capacité de mouvements simultanés dans différents plans), chaque plan étant perpendiculaire au précédent. Ces rotations segmentaires proviennent de l’expression différenciée des gènes Hoxd sous l’influence d’une protéine particulière, Sonic hedgehog, s’exprimant dans le mésoderme c’est-à-dire dans ce qui deviendra le tissu musculaire. On retrouve une nouvelle fois cette notion d’une structure osseuse consécutive à une fonction musculaire au lieu d’une structure osseuse directrice de la fonction… La structure ne gouverne pas la fonction pas plus que son contraire, elles résultent d’une adéquation entre un organisme, son environnement et les contraintes existantes.

III. UN MEMBRE EN DEVENIR…

L’avenir, et de nouvelles découvertes fossiles, nous réserve sans doute de nouvelles surprises concernant les multiples tentatives des organismes vivants dans le but d’obtenir des organes locomoteurs fonctionnels. Nos connaissances ne concernent que les espèces ayant survécus ou bien celles dont nous disposons de restes fossilisés. Peut-être a-t-il existé des organismes disposant de tentacules préhensiles multi-falgellés, un seul bras, ou se déplaçant sur un nombre impair de membres, voire pourquoi pas des organismes utilisant la photosynthèse et non les mitochondries comme source d’énergie motrice, dignes d’un roman de science-fiction… Quoi qu’il en soit, la nature a adopté très tôt un modèle de locomotion au travers d’un membre mobile, structuré, et segmenté. Ce membre, encore en devenir va se diversifier, va être décliné de multiples façons différentes selon les espèces au cours de l’évolution…

Les flagellés n’ont pas pour autant disparus de la surface du globe, bien au contraire. Ils se sont diversifiés eux aussi. Leur seule limite est la fluidité du milieu dans lequel ils se déplacent. Beaucoup d’entre eux sont nos invités parfois involontaires et pathogènes. Mais aussi porteurs d’une vie à venir comme les spermatozoïdes. Pour de nombreux organismes marins, la gravitation étant compensée par la poussée d’Archimède, la production d’appendices porteurs rigides n’a pas été une nécessité.

Figure 15 : Exemples de diversification des flagellés. Ils ont besoin d’un milieu fluide pour permettre leur locomotion mais cela ne les a pas empêchés de conquérir de nombreuses niches écologiques. En haut, flagelle procaryote et son devenir bactérien ; en bas flagelle eucaryote et son devenir en milieu marin essentiellement mais aussi son évolution en gamète mâle.

Cependant, la présence d’un flagelle par segment reste très coûteuse en énergie puisque chaque appendice requiert un moteur individuel. Par ailleurs, la vitesse obtenue reste très faible. Aussi, la sélection naturelle va s’engager très tôt dans une voie de mutualisation des moyens en diminuant autant que faire ce peut (en fonction de la niche écologique occupée permettant la survie) le nombre d’appendices porteurs en regroupant les segments et en augmentant la taille des membres porteurs. La résistance au frottement diminue, la foulée s’allonge, la vitesse augmente pour un coût énergétique similaire. Cette transformation a parfois été si brutale que des espèces en ont conservé la mémoire sous la forme d’un stade larvaire préalable à la conformation de l’adulte. Le passage très répandu par la phase chrysalide ouvre la voie à une question : le bouleversement de l’organisation segmentaire qui se produit alors est-il la trace d’une infection virale archaïque mutagène ayant eu lieu avant l’apparition des vertébrés ?

Ce processus étalé dans le temps de regroupement nécessite en outre un contrôle accru du déplacement dans l’espace du centre de gravité du corps faute de quoi les chutes seraient inévitables. On retrouve soit une adaptation structurelle avec soit un positionnement du centre de gravité au plus près du sol, soit une intégration sensorielle de plus en plus sophistiquée. Rien n’étant toutefois gratuit, cette intégration réclame un cerveau de plus grande taille, coûteux à produire et difficile à entretenir. Plus le cerveau est gros, plus il nécessite un apport énergétique important, donc une prédation efficace par la chasse ou le charognage.

Figure 16 : Schéma de principe de l'évolution de la locomotion, depuis le squelette hydrostatique en haut jusqu'au arthropodes en bas. Le squelette, qu’il soit hydraulique ou rigide présente une conformation en voute romane.

Chez les organismes disposant d’un squelette hydrostatique, les contraintes résultantes de la gravitation sont équilibrées de façon radiaire autour de la cavité intestinale et au niveau de l’enveloppe externe sous-tendue de ses muscles longitudinaux et circulaires. La déformation du squelette hydrostatique en regard de la zone de contact avec le milieu assure une surface portante stable, l’impact de la gravitation sur l’équilibre peut être considéré comme négligeable. En contrepartie, le frottement est important et la vitesse de déplacement est faible. L’accroissement de la masse de l’organisme se trouve limité par les pressions exercées sur la lumière de la cavité intestinale.

Chez les arthropodes de type primitif (en bas à gauche), l’exosquelette rigide permet l’absorption des contraintes dues à la masse de l’organisme, les pressions internes restent faibles même si la masse augmente. Les membres porteurs diminuent la surface de frottement, augmentent la foulée et permettent une augmentation de la vitesse de déplacement. L’attraction terrestre (oblique compte tenu de la rotation du globe) s’exerçant sur le centre de gravité n’y est plus négligeable. Son effet est compensé par un positionnement en cintre très ouvert des membres porteurs facilitant la gestion encore archaïque de l’équilibration. Cette disposition réclame, en raison des grandes bras de leviers impliqués (a) des moments musculaires très importants.

L’évolution ultérieure des organismes (en bas à droite) tend à diminuer le coût énergétique du travail musculaire en verticalisant les membres porteurs. Ceci augmente la vitesse de déplacement en accroissant la foulée, diminue les bras de leviers (a’) et permet une meilleure répartition des contraintes au travers de l’exosquelette. En contrepartie, l’effet gravitationnel est majoré ce qui réclame une meilleure intégration sensorielle d’une part et d’éventuelle adaptations structurelles d’autre part. puisque le centre de gravité se retrouve plus haut situé avec une base de sustentation restreinte.

Dans cette course à l’économie et à l’adaptation, le membre porteur va évoluer en fonction des espèces selon quatre rotations successives dans le sens proximo-distal. Cette évolution va permettre de distinguer des archéo- marcheurs, des paléo-marcheurs, des marcheurs primaires et enfin des marcheurs modernes représentés par Homo Sapiens.

Chacune de ces rotations, conditionnées par le domaine d’expression d’un gène Hoxd, peut s’effectuer vers l’avant (rotation antérieure) ou vers l’arrière (rotation postérieure) à partir d’une position neutre ancestrale. Le segment distal (ou autopode) est originellement tourné en dedans, son évolution se réalise en rotation postérieure uniquement.

Figure 17 : Schéma de principe de l'ensemble des rotations évolutives du membre. Le sens de chacune des rotations est indépendant des autres au cours de l’évolution, par contre chaque rotation est conditionnée dans son amplitude par la précédente.

En prenant comme base d’organisation le flagelle, il est possible de considérer que le membre se situe à l’origine dans un plan perpendiculaire au corps.

Afin d’optimiser les coûts énergétiques, la première rotation consiste en un rapprochement du membre de l’axe du corps (plan sagittal). C’est avec cette rotation que l’on voit apparaître les marcheurs les plus archaïques, les plus ancestraux.

Le sens de cette rotation apparait conditionné par le milieu environnant. Pour des raisons de dynamique des fluides, les organismes marins ont vu leur nageoire pectorale effectuer une rotation vers l’arrière que les premiers amphibiens ont conservé lors de l’utilisation de cet appendice comme membre porteur.

Figure 18 : Rotation vers le plan sagittal du membre. De haut en bas et de gauche à droite, poisson type, amphibien vivant en mangrove, mouche, fossile de libellule, sauterelle, squelette de flamand rose, squelette de chat, fœtus humain. Voir texte pour explication.

Pour les espèces disposant de six membres au moins, qu’ils soient marcheurs, sauteurs ou volants, le membre porteur le plus antérieur tourne vers l’avant et le membre porteur le plus postérieur tourne vers l’arrière. Les ailes (qui sont des membres situés dans le domaine dorsal de l’embryon) suivent le même schéma afin d’adapter au mieux les problèmes de portance et d’aérodynamisme (donc là aussi un problème de dynamique des fluides). Les segments intermédiaires demeurent inchangés. L’organisation des segments semble donc répondre à un schéma commun : par rapport à un segment central, les segments antérieurs se tournent de plus en plus vers l’avant, les segments postérieurs de plus en plus vers l’arrière. Ce schéma correspond à la dynamique des segments porteurs chez les myrapodes lors de leur allure de course (ou allure de survie).

Chez les aviens, les ailes suivent la contrainte aérodynamique en effectuant une rotation vers l’arrière tandis que les membres porteurs (réduits au nombre de deux) effectuent une rotation vers l’avant. Cette disposition permet de réduire les bras de leviers musculaires dans le plan frontal, mais aussi de rapprocher le point d’appui du centre de gravité dans le plan sagittal ce qui diminue d’autant les contraintes liées à l’équilibration.

Les mammifères, dont l’homme, présentent un schéma analogue pour des raisons similaires : réduction du coût énergétique et facilitation de l’équilibration tout en augmentant la vitesse de déplacement tant lors de la marche que de la course. Notons cependant une différence fondamentale entre les membres : le membre supérieur et la ceinture scapulaire sont des dérivés d'un squelette crânien archaïque associés à la mandibule (Mc Gonnell, 2001; Boisvert, 2009) tandis que le membre inférieur et la ceinture pelvienne sont issus d’une nageoire propulsive.

Une fois cette disposition acquise, en rotation antérieure ou postérieure, on retrouve une seconde rotation au niveau proximal qui verticalise le membre. Celle-ci peut intervenir soit vers le haut, et on retrouve des animaux sauteurs mais également les ailes pour les membres non porteurs, soit vers le bas pour voir apparaître la marche, dont la quadrupédie ou la bipédie.

Figure 19 : Schéma de principe de la verticalisation du membre. Cette rotation préside à l’apparition des premiers bipèdes, dont Eudibamus Cursoris bipède le plus ancien connu âgé de 290 Ma. Le tracé des restes fossiles montre l’angulation de la diaphyse fémorale par rapport à la surface articulaire qui reste cylindrique. La longueur relative de ses membres antérieurs révèle cependant que la démarche bipède devait être précédée d’une phase de locomotion quadrupède jusqu’à obtention d’une vitesse suffisante pour permettre le redressement. Reconstitution et tracé fossile modifiés d’après Berman, et al., (2000).

Cette rotation répond à l’adaptation des contraintes liés au type de locomotion adopté — saut ou vol4 ; marche ou course — et non au milieu dans lequel elle s’effectue. Pour les membres porteurs, cette rotation permet l’accroissement de la vitesse de déplacement en autorisant l’allongement ultérieur de la foulée, en augmentant la vitesse de déplacement angulaire des différents segments entre eux. Le rapprochement du centre de gravité et du point d’appui au sol nécessite cependant un contrôle de la posture et de la dynamique plus performant qu’au stade précédent donc une capacité d’intégration neuronale plus importante.

Il est possible de distinguer dès le premier abord les membres selon le mode de propulsion en différenciant les marcheurs des sauteurs en caractérisant la position du corps par rapport aux membres en référence au plan horizontal passant par la racine de ce dernier.

Lorsque l’articulation intermédiaire du membre est située dans ce plan ou au-dessus, les espèces marchent ; lorsqu’elle est située en-dessous, les animaux sont sauteurs. Certaines espèces, comme les octopodes (araignées) utilisent un type mixte, marcheur à une allure modérée et sauteurs dans leur allure rapide ou leur allure d’attaque ou de fuite. Lorsque le bond est utilisé comme moyen de propulsion, c’est préférentiellement le membre le plus postérieur qui se trouve modifié.

Figure 20 : Diversification des membres selon le type de locomotion utilisée et différenciation entre les marcheurs et les sauteurs. En illustration, quelques exemples d’espèces possédant ce type de disposition. Certaines espèces sont mixtes en fonction de la vitesse de l’allure (marche ou course). Le kangourou, de par l’utilisation habituelle de sa queue comme organe de soutien peut être considéré comme tripède.

L’utilisation permanente du saut comme mode de locomotion permet en outre d’abaisser le centre de gravité du corps, par voie de conséquence de favoriser l’équilibration de l’organisme. La disposition fléchie du membre permet également de diminuer la distance séparant le point d’appui au sol du centre de gravité de l’organisme. Pour les organismes disposant d’un endosquelette, cette particularité est renforcée par une disposition de l’extrémité distale du membre tournée vers l’axe médian du corps.

La verticalisation du membre porteur va entrainer des modifications de l’organisation structurelle du zeugopode. Ce dernier va présenter une fissuration longitudinale séparant le radius du cubitus et le tibia de la fibula. Cette séparation n’est toutefois pas homogène, et n’existe que sur le membre soumit à une contrainte locomotrice importante.

Chez les animaux terrestres, le membre porteur se dote très tôt d’une fibula qui se comporte comme un véritable arc-boutant stabilisant le fémur au-dessus du tibia.

Lors du processus de verticalisation, la relation fémoro-fibulaire va progressivement passer d’une situation latéro-latérale verticale à un positionnement inféro-latéral horizontal jusqu’à devenir une relation tibio-fibulaire et perdre toute relation avec le fémur aujourd’hui chez l’homme.

Figure 21 : Fossile de Ptérodactyle (-150Ma). Fémur surligné en vert, humérus en bleu et cubitus en rouge. Il n’existe pas de fibula. Au repos, cet animal marchait au sol sur ses quatre membres. La contrainte locomotrice principale reste cependant le vol.

L’axe de l’articulation proximale (la hanche ou l’épaule), de vertical, tend vers l’horizontale. La dynamique proximale s’organise alors dans le plan sagittal et non plus dans un plan horizontal. Cette transition nécessite une adaptation de l’axe de fonctionnement de la relation stylopode-zeugopode (le coude ou le genou) par le biais d’une torsion du fût osseux proximal sur lui-même.

Comme les rotations précédentes, cette torsion peut se réaliser soit vers l’extérieur (torsion latérale) soit vers l’intérieur (torsion médiale) jusqu’à positionner le rapport stylopode-zeugopode dans un plan frontal. Le plan dans lequel le mouvement de flexion autorisé se déroule est le même dans les deux cas, par contre sa direction sera soit antérieure (torsion latérale) soit postérieure (torsion médiale).

Figure 22 : Évolution du membre porteur lors de la verticalisation. Voir texte pour explication.

Au sein du règne animal, la rotation latérale du membre antérieur semble répondre à une contrainte de prédation : la nécessité d’amener la proie au niveau de la bouche. Chez les insectes, cette tâche est effectuée grâce à des appendices spécialisés, les mandibules qui présentent cette rotation latérale tandis que les membres porteurs ont une disposition en rotation médiale. Les ailes, qui dérivent d’un membre antérieur ont conservé cette disposition bien que n’étant plus des organes préhensiles. Le membre postérieur évolue en rotation médiale en réponse à la contrainte gravitationnelle dans un processus d’économie d’énergie lors de la propulsion (efficacité de la poussée), mais aussi lors de la réception (récupération de l’énergie cinétique à l’impact au sol).

Figure 23 : Schéma de principe de la torsion axiale du fût osseux du stylopode et ses répercussions sur le zeugopode. Voit texte pour explications. Modifié d'après Diderot et d'Alembert.

La disposition frontale de la relation stylopode-zeugopode permet en effet de récupérer au niveau du zeugopode l’énergie cinétique induite par la mobilité du stylopode, ce qui réduit d’autant les efforts musculaires nécessaires. Par ailleurs, la disposition inversée des flexions autorisées permet, lors de la phase de rebond, l’amortissement des contraintes liées à l’impact au sol, et induit une translation antérieure de l’ensemble du corps dans le sens du déplacement d’autant plus importante que le différentiel de puissance musculaire entre membre antérieur et membre postérieur est grand.

La rotation vers l’intérieur du fût osseux du stylopode entraine un certain nombre de répercussions sur l’ensemble du membre désormais postérieur. L’une des plus notable concerne la fibula.

Son extrémité supérieure se sépare de son corps pour devenir la patella (ou rotule) sous l’effet de la traction de la musculature antérieure. Le corps de la fibula va progressivement perdre tout contact avec le fémur jusqu’à être articulaire qu’avec le tibia. Il reste quelques traces embryologiques de cette évolution puisque la cavité tibio-fibulaire supérieure communique encore de nos jours avec la cavité fémoro-tibiale externe de la 10e à la 13e semaine in utéro (Mérida-Velasco, et al., 1997; O'Rahilly, 1951; Roddy, et al., 2011). De nos jours, chez l’homme, la patella conserve une tendance à la subluxation externe dès que l’équilibre musculaire est rompu au détriment de la musculature médiale (muscle vaste médial du quadriceps fémoral).

La rotation médiale va également entraîner la superposition des os de l’arrière-pied (calcanéum et talus) sous l’effet d’une pression latérale induite au niveau de l’extrémité inférieure de la fibula par certains muscles comme le tibial postérieur, alors que leurs équivalents au niveau du carpe (poignet) restent juxtaposés.

Cette superposition est dépendante du mode d’appui au sol. Chez les plantigrades, dont nous faisons partie, la fibula bien que devenant grêle reste complète et latérale. Chez les aviens, dont la principale contrainte réside dans une absorption très rapide de l’énergie cinétique au décollage et à l’atterrissage, la fibula reste articulaire avec le fémur mais vient fusionner avec le tibia à son extrémité inférieure pour offrir une surface portante plus importante au calcanéum et au talus qui restent juxtaposés pour fusionner eux aussi à leurs extrémités inférieures. Chez les aviens coureurs ou marcheurs (comme l’émeu, l’autruche ou la poule), la fibula présente une situation intermédiaire, la partie non fusionnée présentant une extrémité libre. Chez les ongulés, la fibula poursuit sa migration postérieure pour fusionner plus ou moins intégralement avec le tibia

Figure 24 : Mode de distribution de la fibula (en rouge) et de l'arrière-pied en fonction de l'appui au sol (Talus en vert). De gauche à droite, avien volant, digitigrade, avien marcheur. Il s’agit de réponses équivalentes à un problème commun : l’absorption des contraintes liées à l’appui.

Les muscles subissent également la rotation, mais conservent leur fonction originelle. Les suspenseurs deviennent abducteurs ou adducteurs, les élévateurs des antéfléchisseurs ou des propulseurs, les addo-abducteurs horizontaux des rotateurs interne ou externe. La modification de dénomination ne fait que traduire le changement des plans de références anatomiques, sans pour autant modifier leur rôle dans le schéma de marche. Cette torsion musculaire archaïque rend compte des variations anatomiques (du biceps crural par exemple) constatées par les anatomistes (Testut, 1884). Au niveau du membre antérieur, la rotation latérale modifie peu la conformation originelle du fût osseux qui devient le cubitus sans voir l’olécrane se détacher.

C’est également à partir de ce stade évolutif que l’on voit apparaître, en fonction des espèces, la fermeture progressive de l’arrière-fond de la cavité acétabulaire. Alors que la résultante des contraintes liées à l’appui au sol venait s’exercer principalement sur la partie polaire supérieure de l’acétabulum (zone articulaire de la hanche présente sur l’os coxal), la verticalisation du membre provoque une augmentation des contraintes en direction de l’arrière-fond d’où sa densification en fonction de la masse de l’organisme.

Figure 25 : Répercussions musculaires et structurelles de la torsion axiale du fémur. Les muscles suivent la torsion sans modifier leurs fonctions. Ce stade voit l'apparition de la patella par scission de la fibula. Les os de l'arrière-pied se superposent l'un sur l’autre sous l’effet de la pression latérale exercée par la fibula. Le pied se positionne en varus.

Ce processus s’accompagne d’une individualisation du ligament rond par rapport à ses fibres musculaires. Testut, (1897-1899), montre que chez de nombreux vertébrés, ce ligament est en continuité avec des fibres musculaires situées à l’intérieur de la cavité pelvienne, particularité qui existe encore chez les aviens.

Cette disposition, qui rappelle la distribution archaïque des masses musculaires chez les arthropodes, répond à une absorption de contrainte lors des phases d’envol ou d’atterrissage, de saut ou de réception. Chez l’homme, si la structure a évolué, la fonction reste identique, le ligament rond est également impliqué, conjointement avec les muscles obturateurs, dans un mécanisme d’absorption de contraintes lors de mouvements rapides en flexion-extension de la cuisse par rapport au tronc.

Chez Homo Sapiens, le processus de verticalisation se poursuit jusqu’à obtenir une obliquité interne du fût fémoral afin de rapprocher l’axe du membre inférieur de l’axe médian du corps. Cette obliquité implique l’apparition d’un genu valgum physiologique (à l’extrême les fameux genoux en X), un allongement progressif de la longueur du col fémoral. Cette attitude du membre inférieur est compensée jusqu’à un certain point par un pied plat abductus. Spécifique des Homo Sapiens, le valgus se fixe tardivement après l’acquisition de la marche, mais peut encore subir l’influence négative des sports réclamant une position d’abduction de hanche jusqu’à la fin de la croissance osseuse (Tardieu, 1993; Espandar, et al., 2010). Chez les autres primates, le genu varum (à l’extrême les genoux en tonneau) est physiologique en raison d’une verticalisation moins poussée du fémur. On retrouve alors un col fémoral court et un angle cervico-diaphysaire ouvert. Cette posture correspond à un schéma de marche primaire de type Bent hip-bent knee (ou en triple flexion).

Il existe enfin une quatrième rotation au niveau du membre inférieur, spécifique aux Homo Sapiens : la rotation tibiale latérale. Elle n’existe qu’une fois les trois premières rotations acquises. Elle débute après l’apparition de la marche et se poursuit jusqu’à l’âge de 6 ans environ.

Cette rotation présente de nombreuses variations ethniques en fonctions d’incidences culturelles de la station assise en tailleur plus fréquente dans certaines cultures ou du mode de chaussage (la marche nu-pied implique moins de torsion). Elle répond à un schéma adaptatif individuel de la marche bipède sous la dépendance de la morphologie de la hanche et du genou.

Figure 26 : Schéma de principe de la rotation tibiale externe et son évolution dans le temps. Redessiné d’après Klein & Sommerfeld, (2008).

Les différentes rotations présentes sont interdépendantes. Elles répondent à une succession d’adaptations au milieu, au mode de locomotion imposé, à une maîtrise de son coût énergétique et enfin de l’individu lui-même dans son microenvironnement. La correction isolée de l’une d’entre elles, sans considération pour l’équilibre global du membre, peut s’avérer nocive à long terme en augmentant les contraintes des autres niveaux bien qu’elle produise un résultat esthétique en apparence correcte à court terme…

La locomotion telle que nous la connaissons chez Homo Sapiens est le résultat d’une évolution, parmi d’autres possibles et équivalentes, qui implique l’organisme entier. Chacune des phases décrites précédemment nécessite en effet des adaptations du système d’équilibration et de posture (complexité cérébrale croissante), du système vasculaire (gestion des pressions hydrauliques), mais également du système nutritif (digestion et prédation). Les contraintes exercées par l’équilibre debout dans des conditions gravitaires changeantes sont très énergivores. Assouvir ces besoins a probablement induit une complexification des cultures en vue d’une prédation efficace, phénomène rendu possible grâce à la sophistication de plus en plus élaborée du système neurologique.

Figure 27 : Résumé des modifications du membre inférieur chez l’homme parvenu à maturité en fonctions des rotations évolutionnaires. La première rotation se produit au stade intra-utérin, la seconde en période postnatale précoce, la troisième lors de la petite enfance, la dernière est plus tardive et se déroule jusqu’à la fin de la croissance. Indissociables les unes des autres, ces rotations induisent un schéma individuel adaptatif spécifique à la marche bipède permanente.

Une fois acquise cette prédation efficace, la gestion de la socialisation, au travers de notre capacité unique à transmettre un espace mémoriel à notre descendance, est probablement devenue une contrainte évolutive à part entière responsable de la transition des Homo archaïques vers Homo Sapiens. Notre évolution a sans doute connu une première phase sous l’influence de contraintes physiques puis un second stade sous l’influence de contraintes environnementales et ensuite sous l’influence de contraintes sociétales. Nous nous sommes affranchis (partiellement et tardivement cependant) de la nature qui nous entoure… Devons-nous l’oublier ou la martyriser pour autant ?

Notes :

1 Les hématies (ou globules rouges) sont également dépourvues de mitochondries et de centrosome mais ne possèdent pas de locomotion propre, elles se déplacent au gré du flux sanguin.

 

2   Le reticulum endoplasmique n’est jamais qu’une vacuole lipidique parsemée de grains d’ARN, les ribosomes, agissant en collaboration. Il peut être considéré comme un organite symbiotique pluri-vivant. Pris isolément, aucun des brins d’ARN n’est capable de se reproduire, mais l’ensemble des protéines produites permet la duplication. Le noyau cellulaire n’est qu’une dépendance du reticulum, un sous-produit non évacué à un moment de l’histoire du vivant et dont le contenu, l’ADN, est à l’origine un déchet réutilisé comme support mémoriel.

 

3 D’un point de vue ostéopathique, Guy Dudley Hulett n’affirmait rien d’autre en déclarant en 1906 (The Principles of Osteopathy, 4e éd) « There is an organizing force that lies back of all structure whether the latter be composed of cells, intercellular substance, or of syncytia. That force is unknown but it represents an action, an energy, a function. In this sense reasoning is justified in insisting that function is a cause of structure. This assertion, however, may be followed by the equally obvious statement that before that organizing force can express itself in any substantial way it must have a structural basis. That structural basis is protoplasm. From this standpoint structure governs function.» [Il existe une force organisatrice qui repose derrière toute structure que celle-ci soit composée de cellules, de substance interstitielle ou de syncytium. Cette force est inconnue mais elle représente une action, une énergie, une fonction. En ce sens, le raisonnement insistant pour que la fonction soit la cause de la structure est justifié. Cette assertion doit, cependant, être suivie par l’évident constat qu’avant qu’une force puisse s’exprimer de manière substantielle, elle doit avoir une base structurelle. Cette base structurelle est le protoplasme. De ce point de vue, la structure gouverne la fonction. Trad. par l’auteur]. Amputé de son contexte par la suite, l’aphorisme s’est réduit à un simple : la structure gouverne la fonction. La notion vitaliste sous-jacente à ce paragraphe reste contestable, la force organisatrice mentionnée doit être assimilée aux processus darwiniens de sélection naturelle.

 

4 Le vol, qu’il soit plané ou battu n’est qu’un saut prolongé dans le temps. Les surfaces portantes peuvent être indifféremment membraneuses (mammifères) ou à plumes (aviens) par un phénomène de co-évolution.

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RÉFÉRENCES :

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